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TITATO Du Bel Air, Grandeur et Décadence

Erigé en 1947 par plusieurs jeunes qui résidaient au Bel Air, quartier résidentiel où habitaient jadis les colons aisés, la bourgeoisie et l’élite intellectuelle noire de Port-au-Prince; Tato brillait de tous ses feux depuis sa fondation jusqu’en 1961.  D’ailleurs, il fut déclaré hors concours par les résponsables de la mairie en 1960.

 Nos ainés et l’histoire rapportent que le Bel Air était un quartier chique, plein de vie ou toutes les édifices importantes étaient gonflées.  Mais hélas! l’instabilité socio-politique a engendré la pauvreté, la misère, l’insécurité et l’exodus des anciennes familles de cette communauté. Le Bel Air occupe une bonne partie de la ville de Port-au-Prince et s’étend de la rue Saint Martin à la rue des casernes, du bois Corvington tout près de l’avenue Pouplard jusqu’au bord de mer.  Jusq’en 1970, il existait toute une gamme de maisons en bois (style gingerbread), des maisons en bois avec escaliers à l’extérieur sur des butes et de jolies maisons en briques avec des portes gigantesques. Bel Air, quartier des colons aisés, de la bourgeoisie et l’élite intellectuelle noire d’autrefois fut déclaré zone interdite, il n’y a pas longtemps de cela. Les conjonctures socio-politique du nouveau millénaire n’ont rien amélioré.                                                  

Ils étaient nombreux, les membres fondateurs de Tana, la légendaire bande carnavalesque fondée le 7 Janvier 1947.  Citons comme examples, Lucien Noel, Jean Dieudonné Chardavoine, Hubert Alexis, Marcel Loiseau, Octave Jérome, Willy Frédérique, Blaise, André et Antonio Dorcé, Marco Moise etc. 

Willy Walther Frédérique (gros Willy), trompétiste, ancien maestro du Jazz Des Jeunes témoigne que ce groupe carnavalesque au début s’appellait Tana; nom tiré de la chanson dominicaine ‘Amaricutana’.  Mais, sur la demande de André Louis, maire de Port-au-Prince d’alors, ils avaient remplacé Tana par un autre nom qui reflète un peu le terroir.  C’est ainsi qu’après une série de discussions, les membres décidèrent de changer le nom Tana par TITATO.  Ce dernier, armé de plusieurs hélicons (contrebasse), pistons, trompettes, saxophones, caisses roulantes, tambours coniques, bandjo et d’autres instruments à percussions sortait chaque dimanche vers les 10 heures du matin pendant la saison carnavalesque.  Mais, au fil des années, Tato sortait vers les trois heures de l’après midi.  Vétu d’une chemisette blanche, un pantalon noir, un mouchoir rouge au coup, une masque ou un djakout pour cacher le visage et un balai en main pour néttoyer les rues de Port-au-Prince ou “lari lakomin nan”. Ces jeunes s’exhibaient dans les rues de Port-a-Prince avec majesté et un délicieux sentiment de plénitude.  Dès fois, ivres d’exhaltation et de volupté, dans l’oubli de toute pudeur, les adeptes du groupe dès que la brume apparaisse se mariaient pour dix centimes.  En 1956, l’imortel André Toussaint chante Titato et fit ses éloges sur un  disque titré  André Toussaint & The Caribbeans – Copyright 1956- Columbia records.  En effet, Titato semait la joie dans presque tous les quartiers de Port-au-Prince pendant la saison carnavalesque et fut patroné par plusieurs maisons de commerce.   Alléguons des patrons comme Maison Lucien Thébaud, Cola Citadelle, Texaco, J B Thalamas, Shell ICA, Chemise Chester, Cola et Boulangerie Larco etc. Je me souviens encore de quelques mots des méringues Cola Citadelle, Satellite et de la Boulangerie Larco.

Gade kijan manke mouri                         Kokonèt laco o                     Mwen pal monte nan satellite la
Poutèt yon kola citadelle                         Ti biskit tibe o                        Poumka tounen toutrèl
Tato Kote w kite Tana                               Poumka vole nan syèl

Hormis ces trois méringues bien connue, le groupe a eu à exécuter ‘Hoola Hoop, Péligre etc.  Vous en souvenez vous?    

Mwen pral Travay Pelig
Mwen pral touche Borèl
Apiye pa frape
Se Magloire ki banm Pelig
Pelig, Pelig Borèl Borèl

Titato était le groupe carnavalesque du président Magloire et François Duvalier le savait très bien. Quand ce dernier devint président, il fit chercher les membres influents du groupe par Frédérique Duvignaud pour un tête-à-tête.  Par chance, le jour du rendez-vous, Duvalier n’a pas eu le temps de les rencontrer mais, une carte leur a été donné par le secretaire du président.   Ils devraient inspecter certains endroits de la ville pour sauvegarder la sécurité du pays.            
                                                                                         
La délégation était composée de Lucien Noel, Guillaume Pétion, Eugène Calixte, William Jean Michel (père de Malinkov Jean Michel), mon père Albert etc.  Quelques jours après, Frédéric Duvignaud fut accusé de comploter contre Duvalier et on l’emprisona.  Les membres de Tato ne pouvaient ignorer la requette du chef d’état alors, ils choisissent Max Guerrier pour les représenter au près du chef de la nation.  Deux ans après, Duvalier adopta Dragon comme groupe carnavalesque.  Cependant, Titato n’a céssé d’impréssioner toutes les couches sociales du pays; il avait d’excéllents musiciens. Parmis lesquels figuraient Jean Dieudone Chardavoine, Raymond et Wébert Sicot, Nemour Jean Baptiste, Walther Willy Fréderique, Bayard, Séjour, Charles Dessalines, Malan Jecrois, Marcel Loiseau, Gesner Domingue, Nerette, Louis Thélémaque, Antoine Isidor (Royalette), Wesner Leveillé (Djo Rose), Paulo Andreal, Sauveur, Djo gong etc.  Chaque dimanche, à partir de trois heures, l’homme à cheval Octave Jérome, ancien sergeant de l’armée d’Haiti et inspecteur douanier, précédait le cortège de trois ou 4 bloques et il était suivit de Jean Mexil qui portait la bannière TITATO Du Bel Air.  Octave avait en main l’itinéraire de Titato; la bande à pied.  Quand Titato rentre dans son quartier général , il était coutume de jouer Batucada à l’angle de la rue du Montalais et des Fronts Forts avant que ses fanatiques s’en aillent car, Orthophonique les attendaient impatiemment à l’angle de la rue Docteur Aubry et de la rue des Fronts Forts pour continuer la farandole vers le bas peu de choses..

A la fin de 1959, Lucien Noel fut lachement assassiné par balles chez Séjour, une guinguette située non loin du fort national. D’après le témoignage de Blaise qui était avec lui ce soir là, une femelle qui avait sans doute des relations avec un sergeant de l’Armée d’Haiti aurait été la cause.  Pensant que son cousin Gérard Constant allait réagir, rien de concrets a été mis sur pied ; Il était mort de sa belle mort. T outes fois, il a eu des funérailles semi-officielles où tous les représentants des groupes carnavalesques étaient presents à ce triste rendez vous. Les membres de l’édilité y compris Jean Deep, maire de Port-au-Prince  de l’époque exprimait ses regrets et présenta ses sympathies aux familles éplorées.  
                            
Lucien laissa dans la douleur Alix et Lucien Junior ou Ti Lucien comme on l’appellait, tous deus fils de Germaine Calixte. Soudain, une nouvelle saison carnavalesque s’annonça et il faudrait reviser l’administration du club et nommer un nouveau président. De ce fait, Vergnaud Riché, le hougan de la zone, petit fils du président Riché et propriétaire de l’édifice où siégeait Titato à la Rue Des Fronts forts lança sa candidature au même instant que Descharlemagne Mazarin. Vergnaud devint le président d’honneur de Tato et Louis Thélémaque fut promu chef d’orchestre. Titato obtint le premier prix pour sa méringue" Madigra Vinn danse nan Titato" et fut déclaré "Hors concours" aux Kiosques Occide Jeanty du Champ de Mars par l’édilité de Port-au-Prince et sa suite. Cette méringue débuta avec des notes sombres, tristes pour commémorer le départ de Lucien Noel. Ce fut une méringue à sombre début tiré d’une imagination riche et fertile oû l’image du repos éternel est dépisté. Après quelque phrases musicales assez courtes, elle s’est transformée en méringue agitée. Elle est, dit-on,  l’oeuvre de Raoul Guillaume. Pendant les trois jours gras du Carnaval 1960, Vergnaud Riché,  Mazarin, Alix et Lucien Noel Junior s’exhibaient sur la flotte à Titato. Mais un incident s’est passé le dimanche gras aux environs de la Cathédrale de Port-au-Prince et l’école République du Venezuela. Une bataille violente s’est éclatée entre les groupes Dérangés et Dragons, le sang a giclé et le premier jour gras était teinté de violence et de sang. Le jour suivant, lundi gras, le groupe Les Dérangés s’allie avec Titato, établit un partenaria et franchissent les rues de Port-au-Prince jusqu’à la commune. En 1961, Sicot et Léon Volcy ont inventé la Cadence Rampas groupe carnavalesque. Pour alléger le choc émotionel qui est la résultante de l’assassinat de Lucien Noel, Nemour, portant les couleurs jaune et rouge, retourna au bercail pour renouer les souvenirs de Titato. Nemour et ses disciples du Compas Direct ont exécuté un arrangement de la méringue’ Madigras Vinn Danse Nan Titato’ aromatisée de la guitarre rythmique de Raymond et de l’accordéon de l’ange gardien du compas Direct, Richard Duroseau. Cette exécution faisait réellement les délices de la foule. Elle sera plustard exécutée par Mini All Stars en 1982, un arrangement de Dernst Emile (MRSD 1150). En 1962, Nemour, abandona Titato pour créer son propre groupe carnavalesque ‘ Le Compas Direct’. En présence de cette nouvelle conjuncture, Mazarin embaucha l’orchestre Norma de Léogane pour animer la flotte à TITATO. Cependant Norma de Léogane avait du mal à assumer cette responsabilité. Par conséquent, les fanatiques de TITATO le désertent. En Janvier 1962, le groupe carnavalesque Compas Direct déambula dans les rues de Port-au-Prine avec les couleurs rouge et blanc. Depuis, Titato avait perdu son exhubérance jusqu’à son écroulement en 1973.

La vitalité et velléite de ces jeunes, la richesse de leur imagination, la surabondance de leur zèle, l’exhubérance de leur sentiment traduisent la génerosité de leur tempérament.  Ils avaient joué le role d’officiers sanitaires, établi leur propre programme de sensibilisation pour nétoyer les rues de leur ville.  Ils ont fait écho aux solidarités communautaires du Bel Air de façons brillantes et bruyantes pour remplir un devoir civique, sanitaire et humain.  Voyez  vous, nétoyer sa ville, sa communauté ou son quartier n’est réellemet pas une nouvelle initiative.  Port-au-Prince, ma ville; m’entends-tu? La franche camaraderie, la flamme et l’amitié qui unissaient ce groupe de jeunes citoyens sont dispersés au gré du temps et du vent.  Actuellement, ils sont probablement tous au pays sans chapeau.  Pendant 26 ans, ils ont essayé de faire une différence qui n’est pas connue de tous.  Déclaré hors-concours par l’édilité de Port-au-Prince à cause de leur labeur opiniâtre, Titato a fait l’histoire parce qu’il a toujours eu d’excéllents  musiciens. Que les noms de Nemour Jean Baptiste, Raymond et Wébert Scot, Nerette, Thélémaque, Jean Dieudonné Chardavoine, Malan Jecrois, Bayard, gros Willy, Antoine Isidor, Sauveur, Djo Gong, Séjour, Paulo Andreal, Wesner Leveillé, Lucien Noel, le président etc résonnent sur tous les toits pendant les saisons carnavalesques.

Adrien B. Berthaud
Elmont, N.Y
Février 2017

Références
Michaelle Charles
Eunide Favard
Gabrielle Chéry
Claude Filien
Wilner Kébreau
Andre Toussaint & The Caribbeans Copy rights 1956 Columbia Records